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J+5 : Fin du game

par LFC 8 Février 2015, 21:52

J+5 : Fin du game

Désolé pour l'absence totale de mise à jour. Ne vous en faites pas, il y a une bonne raison à ça.

Jeudi soir, inquiété par la drôle de tronche que tirait la plaie laissée au bout de mon annulaire par le cathéter, j'ai contacté mon body modder qui m'a recommandé de passer le voir. Arrivée au studio en catastrophe, inspection de la plaie toujours pas refermée, rasades d'eau oxygénée et pressions répétées sur ma dernière phalange : pas d'infection, du moins en surface, mais il est devenu évident qu'une suture aurait dû clore l'implantation.

Clairement paniqué par la situation, le bonhomme ne m'a pas dit grand chose de plus avant de me recommander d'aller à l'hôpital mais de ne pas signaler la présence de l'implant au personnel soignant. Je décide instantanément de tout leur dire, comme un être humain sensé - je suppose.

Premier hôpital

Arrivé à l’hôpital vers 21 heures, je profite de l’accueil rageur d’une urgentiste et d’un ambulancier qui veulent absolument savoir pourquoi j’ai fait ça, quel est le but, à quoi ça sert. Ils ont du mépris sur la bouche, c’est le retour dans le monde réel : ils veulent les détails pour se dégoûter, par pour comprendre. Au moment où l’ambulancier commence à m’engueuler pour le sport, j’explique que je ne parlerai qu’à un médecin. On me rend ma carte vitale et je m’assois.

Assez vite, on m’appelle dans une salle adjacente. L’infirmière est jeune, elle me regarde avec bienveillance et un peu d’intérêt. Je lui explique, elle reste silencieuse et tape quelques mots sur son clavier – l’urgentiste avait noté que j’étais né en 1975 sur ma fiche d’admission – avant de me demander si je sens les ondes de l’ordinateur, s’il y a beaucoup de gens qui font ça, comment est conçu l’aimant. Elle tâte les articulations de mon annulaire pour voir si j’ai mal. Je ne souffre pas, mais ma plaie a commencé à sécher et tire une gueule de plus en plus étrange. Elle m’explique qu’il est possible que ma plaie soit infectée à l’intérieur et m’envoie vers une nouvelle salle d’attente.

Je m’assois, il y a du monde. En face de moi il y a trois anglais qui parlent fort, deux hommes robustes et une femme blonde d’une trentaine d’années. Ils sont bien habillés, la chemise de celui qui me fait face est pleine de sang. Je comprends qu’il s’appelle MacNamara, qu’il est toujours ivre, qu’il s’est embrouillé avec un autochtone, qu’il a pris une droite qui lui a ouvert l’arcade. Au bout d’une heure, on l’appelle. Dix minutes plus tard, c’est à mon tour.

Premier diagnostic

On m’installe dans une salle sur la porte de laquelle on peut lire « Petites interventions ». Je souffle et me dis que je vais peut-être pouvoir rentrer chez moi le soir même, voire même aller au boulot le lendemain. L’infirmière qui m’a accompagné a discuté avec celle qui m’a ausculté la première, elle veut savoir ce qui se passe avec mon doigt. J’explique, elle écarquille les yeux mais je vois qu’elle ne juge de rien. La salle dans laquelle je suis installé est juste à côté de celle où se retrouve le personnel soignant : j’entends très clairement toutes leurs conversations. Quand l’infirmière s’en va, je l’entends vite sourire : « Tu vas voir, c’est quelque chose ».

La médecin arrive. Elle est jeune et me déteste instantanément mais elle fait bien son travail, elle manipule mon doigt sans cruauté, tâte les phalanges, les articulations et la pulpe sans faire exprès d’y aller trop fort. Elle est très en colère, encore plus quand je refuse de lui dire le nom du type qui m’a fait ça, mais elle se contient. En tout cas, c’est clair pour elle, la plaie est infectée. Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont ça s‘est fait, mais c’est fait et c’est pour ça que mon annulaire raidit et rougit d’heure en heure. Je vais être opéré, en anesthésie locorégionale, on va ouvrir mon annulaire et en retirer les tissus infectés. Et l’implant ? Et l’implant. « Heureusement que vous êtes venu assez tôt, ça aurait pu être bien pire ».

Les médecins sont sympas

On m’envoie faire une radio pour mesurer l’étendue de l’infection et localiser l’implant. Je croise MacNamara qui déambule énervé dans les couloirs, toujours ivre et pas recousu. J’attends de me faire irradier aux côtés d’un livreur qui s’est fait renverser par une voiture. Il me raconte son histoire, il était clairement en tort. Il a été percuté alors qu’il venait de s’engager à contre-sens sur un rond-point pour gagner du temps. Il est entier, conscient mais encore un peu sonné ou abruti par les antalgiques. On m’emmène dans la salle de radiographie, deux prises, c’est vite fait. L’opérateur est gentil, il demande, écoute, rigole et demande sans ironie : « Tu comptes le refaire une fois qu’on t’aura retiré celui-là ? »

Il ne rit plus quand il me montre la radio. La docteure qui me déteste la regarde, ne dit rien sur l’infection et tranche : l’implant magnétique est proche de l’os, ce n’est pas bon, il va falloir qu’un chirurgien orthopédiste me prenne en charge. Mais pas dans cet hôpital, il est trop occupé. MacNamara ricoche dans le couloir. Dans la salle des médecins, j’entends un téléphone qu’on décroche. Quelqu’un demande une intervention d’urgence. On me pique le doigt pour savoir si mes vaccins sont à jour, la réponse est oui. Une demi-heure plus tard, la médecin me tend une ordonnance et une lettre adressée à un hôpital de banlieue. Il faut que je rentre chez moi et que je reparte très tôt le matin pour aller là-bas. Si j’ai mal, un doliprane. Rien pour l’infection. Il est un peu plus de 2 heures du matin.

Deuxième hôpital

Je me réveille à 7 heures et je décolle. Ma plaie est complètement sèche et mon doigt gonflé, les vibrations des transports en commun y font naître une douleur assez forte. J’arrive dans le deuxième hôpital vers 8h30. Pourquoi vous ont-ils envoyés ici ? Les opérations chirurgicales ne commencent qu’à 14 heures. Un médecin urgentiste appelle le premier hôpital pour les engueuler. On m’ausculte, les infirmières curieuses viennent voir, le même ballet reprend mais ici les gens sont plus gentils. Et puis, j’attends encore. Je n’ai rien avalé depuis le déjeuner de la veille et quand on vient me chercher pour le bloc, j’ai oublié que j’avais faim.

On me met dans un brancard, ascenseur VIP jusqu’au quatrième étage, celui des salles d’opération. L’anesthésiste a une soixantaine d’années, l’air gentil, une moustache et un bouc poivre et sel. Il s’étonne de l’implant sans s’en offusquer et me vide une grosse seringue de liquide translucide à la base du doigt. C’est le moment le plus désagréable du périple. Avant que la chirurgienne n’arrive, on discute : Facebook c’est dépassé, m’explique-t-il. Plus aucun jeune ne va là-dessus. Maintenant, c’est Instagram, Tumblr, Snpachat. Deux infirmiers se joignent à nous, ils veulent voir les radios. La chirurgienne les fait fuir, on m’emmène.

Au bloc

La salle d’opération est rassurante, blanche et éclairée naturellement par une large baie vitrée. Elle ne sent rien et il y fait très froid, une soufflerie fait du bruit, la chirurgienne s’en irrite. Mon bras est badigeonné de Bétadine jusqu’à l’épaule puis garroté. L’anesthésie fonctionne, je ne sens plus du tout mon doigt et à peine ma main. On tend un parc stérile au dessus de ma tête pour m’empêcher de voir l’opération. Derrière, ça chuchote ; je comprends qu’un interne est en train de m’opérer sous les ordres de la chirurgienne. Je n’avais même pas compris que ça avait commencé.

En moins de cinq minutes, c’est fini. La chirurgienne m’explique qu’elle m’a mis deux points de suture et qu’une partie de la plaie a été laissée béante pour éviter un « effet cocotte-minute » consécutif à l’infection. Il y a avait « un petit écoulement » autour de l’implant magnétique. Pas d’antibiotiques. Je vais garder les points pendant deux semaines, le pansement devra être changé tous les deux jours et début mars, je devrai rendre visite à un chirurgien pour qu’il vérifie que mon doigt se porte bien.

On m’enlève le parc, mon doigt est prisonnier d’une couche de bandage qui doit faire trois bons centimètres d’épaisseur. Une fois remis sur le brancard, on m’emmène en salle de réveil. Trois infirmiers viennent me voir, ils n’en reviennent pas, ils rigolent. Ils sont tous piercés et tatoués, parfois ostensiblement. L’un des deux va même chercher la poubelle jaune de la salle d’opération et en extrait l’aimant avec une pince. Je me dis qu’il va falloir que j’invente un mensonge à raconter à ma mère. Quand on me redescend finalement à l’étage inférieur, il est presque 16 heures.

Fin du game

On m’explique que je ne peux pas sortir sans être accompagné. Finalement, je sors de l’hôpital vers 20 heures. Mon père est venu me chercher, je lui ai raconté que je m’étais coupé avec un verre. Avant-hier, un infirmier est venu changer mon bandage pour la première fois. Pour le moment, la plaie est « belle ». Nouveau changement ce soir.

Je n’ai pas le moindre regret, je savais que ça pouvait foirer. Pas de chance, ça a foiré. Peu importe pourquoi. Je m’y étais préparé. Ma seule honte est d’avoir encombré des hôpitaux qui avaient sans doute autre chose à faire. Le body modder qui m’a opéré s’est excusé maintes fois, il est venu prendre des nouvelles tout au long de mon aventure hospitalière. Il a promis qu’il me rembourserait l’implant et tous les frais médicaux.

Je vous posterai bientôt un scan de ma radio. Beau trophée.

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